Allons-nous vers une interdiction du démarchage téléphonique pour la rénovation énergétique ? En tout cas le sujet est à l’ordre du jour : la secrétaire d’Etat à l’Economie a en effet détaillé plusieurs mesures visant à lutter contre les abus du démarchage téléphonique. Les principales associations de consommateurs (l’ADEIC, l’AFOC, l’ALLDC, la CSF, le CNAFAL, la CLCV, Familles de France, Familles Rurales, l’UFC-Que Choisir et l’UNAF), quant à elle, demandent son interdiction directe. Elles invoquent, notamment, la vulnérabilité des seniors dont certaines entreprises peu scrupuleuses tentent de profiter par des techniques commerciales bien rodées. Avis de HPS Environnement.
Démarchage téléphonique : les seniors particulièrement visés
Nous sommes tous familiers des abus du démarchage téléphonique : harcèlement, voire intimidation ou, plus grave encore, fraude… personne n’est à l’abri de ces commerciaux sans scrupules, dont les méthodes sont aux limites de l’achat forcé. Les seniors sont particulièrement visés par ce genre de pratiques. En effet, cette tranche de la population est en ligne de mire car on la prend pour une cible aisée, facile à manipuler, spécialement dans la rénovation énergétique.
Prenons l’exemple de Martine (nous lui donnons un prénom fictif pour des raisons évidentes de protection de la vie privée), une retraitée qui n’ose plus répondre au téléphone par peur d’être harcelée. Il faut dire qu’elle garde un très mauvais souvenir du dernier démarchage pour une offre d’isolation thermique dont elle a été « victime ». Martine déplore qu’« ils sont très convaincants et ne te laissent pas le temps de réfléchir. Au téléphone, ils connaissent déjà très bien ma maison, le nombre de pièces et même mon âge ! Ils m’ont dit qu’ils pouvaient passer chez moi rapidement. »
Et c’est exactement ce qui s’est passé. Dès le lendemain de l’appel, Martine reçoit la visite de la fameuse entreprise d’isolation thermique qui fait une inspection rapide du grenier pour lui proposer un contrat de rénovation d’un montant de 5 000 euros ! Ne se rendant pas du montant exorbitant des travaux que lui propose le commercial, elle signe dans la hâte car on ne lui laisse pas le temps de consulter d’autres entreprises, comparer les devis, ou même réfléchir à l’offre. Martine n’est cas parmi des milliers d’autres seniors victimes des mêmes pratiques agressives pour des offres de rénovation énergétique.
La réponse de la DGCCRF
Consciente de la gravité de la situation, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sort une note publiée début août, où elle déplore, nous citons : « depuis le début 2019, des entreprises d’isolation peu scrupuleuses démarchent par téléphone, souvent de manière agressive – jusqu’à 20 appels par jour – leurs clients potentiels. Dans leur argumentaire, elles prétendent parfois êtres mandatées par des organismes officiels et indiquent que des travaux d’économie d’énergie sont obligatoires afin de ne pas payer de taxe carbone ou autres pénalités environnement. » La DGCCRF ajoute, et c’est là le cœur du problème : « ce démarchage abusif vise particulièrement les personnes âgées, qui sont à leur domicile entre midi et 16 heures. »
Les abus en hausse constante
Pour Benjamin Douriez, rédacteur en chef adjoint du magazine 60 Millions de consommateurs : « en 2015, des opérateurs de téléphonie profitaient déjà de la méconnaissance des seniors pour les abonner malgré eux. Pour cibler les retraités, ces sociétés achètent des listes de numéros de téléphone classées par tranches d’âge ou catégories socioprofessionnelles ». Même son de cloche du côté du ministère de l’Economie, qui note la recrudescence de ces pratiques, et plus particulièrement auprès des seniors. La secrétaire d’Etat à l’Economie, Agnès Pannier-Runacher, a expliqué vouloir protéger les consommateurs et les entreprises du secteur du bâtiment, et reconnait que les soutiens publics à la rénovation énergétique attirent des professionnels peu scrupuleux. Cela n’a pas manqué de créer un climat de suspicion qui pénalise la profession dans son ensemble, et ce sont les entreprises sérieuses qui en pâtissent.
De nombreuses plaintes et litiges
Toujours selon Agnès Pannier-Runacher, la répression des fraudes (DGCCRF) a recensé plus de 1 700 plaintes de consommateurs entre août 2018 et août 2019, soit une hausse de 20% par à l’année précédente. Les enquêteurs de la DGCCRF disent recevoir entre deux et trois plaintes par jour ! Ils rapportent en outre que certaines entreprises de rénovation n’hésitent pas à imposer des rendez-vous aux clients, invoquant une quelconque obligation légale (virtuelle évidemment), afin de procéder le plus rapidement possible aux travaux faisant fi du respect des obligations légales comme la visite technique ou l’établissement de devis.
Par ailleurs, d’après l’avis de HPS environnement, le démarchage téléphonique abusif est généralement un point d’entrée qui mène à d’autres délits plus graves, et dont le plus notable est la surfacturation des travaux, comme nous l’avons vu dans le cas de Martine. Il faut savoir que ce type d’arnaques ne concerne pas seulement le marché de la rénovation énergétique, bien que ce sont les mauvais élèves de ce secteur qui ont le plus fait parler d’eux cet été. D’autres domaines, comme la banque et l’assurance, sont également concernés par ce genre de pratiques. Les cas de garanties dont on peut difficilement se défaire ou encore les mutuelles qui ne garantissent aucun droit abondent. A la clé, les démarcheurs promettent des économies d’argent, des périodes d’essai gratuites, des contrats sans engagement, des annulations sans frais à n’importe quel moment…
Le point sur ces techniques de démarchage abusif
Il faut dire que les techniques de ces pseudos commerciaux sont particulièrement bien rodées, et spécialement adaptées à leur cible de prédilection : les seniors. L’association de défense des droits des consommateurs, UFCQue choisir, a pris la peine d’analyser en détail l’argumentaire d’un commercial d’une société de téléphonie fixe, dont les méthodes sont quasi identiques à celles pratiquées en rénovation énergétique. Pour y arriver, l’association a réussi à mettre la main sur un enregistrement très instructif, sur lequel un téléconseiller tente de convaincre un retraité de plus de 80 ans de souscrire à un contrat en ligne.
La recette du « conseiller » est confondante de simplicité : invoquer un maximum de termes techniques incompréhensibles, pousser à l’achat arguant que c’est une excellente affaire, tout en adoptant un ton rassurant pour mettre le prospect en confiance. Et pour faire passer la pilule des coûts de connexion exorbitants par appel ou encore les frais d’activation hors de prix, il suffit de faire l’impasse sur le sujet et insister plutôt sur les points positifs. Tous les ingrédients de l’arnaque sont réunis. Cerise sur le gâteau, le téléconseiller, dans une tentative claire de décourager son interlocuteur, l’informe qu’il va procéder à la lecture des conditions générales de vente du service mais que cela risque de durer plus d’une trentaine de minutes. Toutefois, il lui dit qu’il peut arrêter la lecture à n’importe quel moment en appuyant sur la touche « 1 » de son clavier, ce qu’il fait évidemment, ce qui lui fait manquer l’occasion de savoir en quoi il s’engage !
Et pour confondre davantage les seniors, traditionnellement peu versés en nouvelles technologies, on ne prend pas la peine de leur expliquer que le client n’est plus obligé d’apposer sa signature pour souscrire. Il suffit d’une validation électronique par simple envoi d’un SMS. Autre arme dans l’arsenal de ces commerciaux peu scrupuleux : jouer sur l’affectif et l’émotion. Un témoignage poignant d’une ex téléconseillère d’une entreprise de produits surgelé apporte la lumière sur ces basses pratiques. « Grâce aux conversations téléphoniques précédentes, on avait des fiches qui indiquaient notamment si nos clients avaient des petits-enfants, s’ils venaient souvent leur rendre visite et ce qu’ils aimaient commander. Si un client ne voulait rien acheter parce qu’il bénéficiait de plateaux-repas à domicile, on lui rétorquait : mais pensez à votre petite-fille Amandine. Si elle vient chez vous, elle sera contente de manger des esquimaux. »
Dire non au démarchage téléphonique ! L’avis de HPS environnement
Il est temps d’agir ! C’est d’ailleurs dans cette optique que le ministère de l’Economie a proposé son projet de loi. Mais les associations de défense des droits des consommateurs estiment qu’il n’est pas suffisant et qu’il faudrait interdire, purement et simplement, les pratiques de démarchage téléphonique car ils donnent clairement lieu à des abus. Pour UFC Que choisir, le texte de loi proposé manque cruellement d’ambition car il cautionne la logique du droit d’opposition (opt-out) de Bloctel, largement inefficace. L’association évoque l’exemple du Royaume-Uni, et d’autres Etats européens, qui ont opté pour un système opt-in qui exige le consentement exprès du consommateur avant d’être démarché. La France est en retard sur ce registre, ce qui a poussé les associations à lancer une pétition qui appelle les parlementaires à interdire définitivement le démarchage téléphonique.
Il faut dire que la situation est en passe de devenir explosive. Plusieurs sondages soulignent que les Français sont arrivés à un état d’exaspération eu égard au démarchage téléphonique : 92% le jugent agaçant et trop fréquent ! Cela pose le problème de la tranquillité des personnes, mais invoque également des enjeux financiers importants. Aujourd’hui, force est de constater que les secteurs qui pâtissent le plus de ce type de pratiques sont ceux de la rénovation énergétique, mais aussi les assurances.